mardi 6 mars 2007

Le zèle du néophyte

De quoi je cause? Il ne s'agit pas d'un traité. C'est tout simplement une manie de prosélyte. Ces gens qui s'adonnent depuis peu à un art et qui cherche à tout moment et à tout prix à faire valoir ce savoir récent. "La culture, c'est comme la confiture, moins tu en as, plus tu l'étends." Quelle analogie! J'aurais aimé la trouver.

Il arrive régulièrement qu'une personne commençant à s'intéresser à un art en particulier, s'empresse de "ploguer" tout ce qu'il sait là-dessus et se définit lui-même comme une autorité en la matière. J'imagine le phénomène possible dans les sports aussi. Comme je m'y connais moins, voire pas du tout, je vais me limiter à la culture.

Je ne citerai pas Mauriac mot pour mot mais il avancait grosso modo dans un roman que les jeunes initiés à un art quelconque s'approprient souvent tout le lexique ou le métalangage relié à cet art pour faire valoir leurs connaissances. En contrepartie, les vrais érudits n'emploient généralement plus ce vocabulaire.

Le plus drôle dans l'affaire est que ces dilettantes prosélytes trahissent toute leur naïveté et leur manque d'expérience.

Fait vécu: notre metteure en scène invite deux jeunes comédiens formés dans les "écoles" à venir nous voir répéter. Dès les lectures de la pièce il y a quelques mois déjà, les autres comédiens et moi avions statué que certains personnages de la pièce conserveraient l'accent québécois et que le texte original subirait une légère remise en contexte ne travestissant rien de la pensée des auteurs. J'étais un des personnages devant conserver son accent québécois. Il faut rappeler aussi que deux des acteurs de la troupe sont français d'origine. Donc, leur accent à eux, c'est celui de la France.

Pour revenir à nos deux éphèbes théâtreux, ils regardent la pièce sans mot dire. Après notre répèt', ils se tournent vers notre metteure en scène sans nous adresser la parole et marmonnent leurs observations. Nous étions tous un peu anxieux de connaître leurs points de vue mais plus leurs délibérations en catimini( tels des juges aux Jeux Olympiques pour le patinage de fantaisie) avancaient moins nous ne sachions ce qui se passait. Une collègue de la pièce a même dit "je me sens comme en audition pour une école de théâtre". C'est vrai que le ridicule de la situation nous avait poussé là. Un des futurs Robert Lepage se lève et quitte la salle sans que nous sachions vraiment le fond de sa pensée.

La metteure en scène nous réunit donc avec la Lorraine Pintal en devenir qui restait. Une des premières remarques était que mon personnage "avait un accent québécois plus marqué que les autres..." C'était un choix esthétique conscient dès le début! Quelle idiotie que ce commentaire! Si nos deux théatreux avaient questionné le choix artisitique à l'origine de cette décision ça aurait été plus convenable intellectuellement. Mais là, ils trahissaient leur manque de perspicacité flagrant. J'ai rétorqué que c'était notre choix dès le départ...et qu'un comédien nous ayant déjà vu affirmait que l'histoire s'impose tellement d'elle-même que la question des accents était secondaire. Notre metteure en scène a rappelé un peu platement que ce comédien n'avait pas fait d'école en tant que tel et que ce n'était qu'un détail technique. Je comprends que la jeune Pol Pelletier restante aurait eu à faire du 5 contre 1 pour s'expliquer...Notre metteure en scène a simplement eu la courtoisie de justifier le tout en ramenant ça à une question de détails techniques. Mais la vérité est ailleurs. Je ne voulais pas banaliser la chose mais je n'en ai pas ajouté. Je soulignerai ceci: le rôle de la critique est de présenter l'intention de l'artiste afin de savoir s'il a atteint sa cible. Par la suite, on peut questionner tel ou tel choix artisitique à l'origine du projet. Les intentions, la conscience du créateur ou de l'interprète.

Si ce n'était qu'une question d'accent...mais un autre commentaire a surgi en rapport avec l'attitude d'un personnage supposément amoureux d'une fille dans la pièce. La future récipiendaire d'un Masque disait qu'elle voulait ressentir le sentiment amoureux plus souvent chez ce personnage...Le problème est que ce personnage est aigri, amer. Oui, il aurait aimé vivre quelque chose avec cette autre femme il y a dix ans mais il n'est pas en pamoison devant elle. Au contraire, il lutte contre son sentiment intérieur car il ne veut rien laisser paraître. Et cette manie du "tomber en amour" dans la fiction m'exacerbe. Il existe une infinité de sentiments plus subtils que d'être en amour constamment. Pourquoi toujours réduire les vélléités des personnages à des rapports amoureux? La vie est plus complexe que ça. Le théâtre sert justement à dévoiler cette infinité d'émotions subtils et complexes. Si vous voulez des sentiments amoureux à pleine pelletée, regardez les téléromans.

Enfin, tout ça pour vous dire qu'il faut se méfier du zèle des néophytes. C'est la pire escroquerie intellectuelle qui soit. J'y reviendrai moi-même dans une oeuvre de fiction. La culture offre peut-être toute la beauté du monde dans ses discours et ses manifestations diverses mais l'envers cruel de cette beauté se révèle dans le manque de sincérité découlant de la prétention intellectuelle.

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